Les Nobel en pays Provençou

A un mois de la fin de mon contrat (repoussée de jour en jour), tout s'accélère au bureau. Même pas eu le temps de vous parler du pot d'anniversaire de ma collègue(collègue avec laquelle je me suis souvent pris la tête mais maintenant on s'adore, elle m'a appris à danser le Tilili), et je réalise qu'il y a un milliard de choses à faire pour que mon travail puisse être repris, y compris la formation de la personne qui doit me remplacer.

A ce sujet, on a reçu 6 candidats à ma succession, et on en a sélectionné une (au top qui nous a claqué entre les doigts) puis une autre qui passait super bien en entretien (le boss aussi a été séduit). Eh bien à son arrivée dans les locaux, on a eu l'impression de voir quelqu'un d'autre :  précieuse, désintéressée, des fautes d'orthographe inimaginables pour une bac+5, et un anglais plus qu'approximatif (presque une heure pour traduire -partiellement- 10 lignes d'anglais d'un manuel d'utilisation bidon)... j'en ai parlé à une des nanas de la boite, pour avoir son avis perso sur la candidate, et là... je suis tombée des nues pour la 2eme fois de cette journée ; texto ça donnait :

"Je l'ai vue arriver cette fille, je l'ai pas sentie ma belle...mal-élevée, opportuniste... tu sais c'est mon interprétation d'antillaise, mais les très-noirs tu vois, ils sont toujours agressifs, envieux, opportunistes, elle a peut-être trafiqué son CV, ils ont souvent quelque chose à prouver, ça colle pas avec notre boite, ici on s'entend tous bien, il faut que ça reste comme ça"

Soit. Peut-être rien de raciste là dedans hein, juste un constat d'un cercle vicieux : je veux bien croire que tu sois obligé d'en faire trois fois plus dans l'opportunisme quand tu es "très noir", et que te faire refouler de tous les entretiens pour ta couleur rend quelque peu agressif ... ça se tient.

Je continue le sondage, même question pour la même réponse de toutes les autres nanas de la boite, seuls les mecs étaient neutres sur le sujet, je commençais presque à avoir envie de la garder, mais je galérais trop à lui faire comprendre le moindre truc en informatique, alors à la fin de la journée, j'ai appelé mo boss pour lui faire part de mes doutes sur ses aptitudes, sans même évoquer la question du "très-noir" mais en lui disant aussi que quelque chose dans son attitude semblait faire obstacle à son intégration. Pause à l'autre bout du fil puis il me dit :

_ C'est parce qu'elle est très noire non ?

_ (Interloquée :) On vous l'a dit ?

_ Non, mais je suis entrée dans la cuisine ce midi et j'ai entendu une fin de conversation parlant du racisme, M......... en tête je me suis demandé "racisme anti-blanc"? mais (rires) j'ai toujours entendu M...........dire qu'elle préférait les hommes blancs parce qu'ils sont moins machos et plus tendres, alors j'en ai conclu que ça parlait de notre nouvelle recrue... vous avez eu des echos à ce sujet alors ?

Franchement, vous vous imagineriez avoir ce genre de conversation avec votre patron en métropole ? Moi, parler avec mon chef des préférences sexuelles de mes collègues sur fond de guéguerre raciale, j'ai trouvé ça... surréaliste.

Sur ce, il m'explique qu'il avait recruté il y a quelques années une jeune femme, "très-noire" elle aussi, et que toutes les filles de la boite avaient atterri dans son bureau en délégation dans la journée pour lui demander de la faire partir. Il en concluait que ce n'était pas encore gagné en Martinique et que, sur cette question, c'était encore très tendu.

Moi j'en conclus surtout que j'avais rien vu venir de tout ça en la recrutant, non pas que je sois exempte de tout racisme (soyons honnêtes, à moins de n'avoir pas vécu sur Terre, on a tous des préjugés, c'est juste que ça disparait plus ou moins vite), mais j'ai été victime d'une autre forme de préjugé, bien métropolitain celui-là : pour moi il n'y a pas de teintes de noirs, il n'y a que des noirs. J'avais vu des candidats blancs, noirs, même une asiatique, et je n'avais pas imaginé une seule seconde que la demoiselle en face de moi faisait ENCORE partie d'une catégorie à part. Ben si.

Après deux ans, on apprend encore des trucs.